Le mot totem vient d’une langue algonquine parlée par un peuple d’Amérique du Nord, les Ojibwé. Pour eux, c’est avant tout un être animal ou végétal, considéré comme l’ancêtre fondateur d’un clan, représenté par un poteau de bois portant des figures sculptées superposées. Il affirme l’identité du groupe, protège ses membres, et fait à ce titre l’objet d’une vénération. Mais le totémisme déborde de beaucoup l’Amérique du Nord, il s’agit en fait d’un mode universel d’identification des hommes à leur environnement naturel, animal et végétal.

Les totems de Raúl Castañeda, membre de longue date du Clan des Mains-Qui-Façonnent, reprennent cette tradition d’une symbiose entre l’Homme et la Nature, symbiose que le monde occidental avait dissociée depuis l’avènement du christianisme. Originaire du Caquetá, Raúl s’inspire des thèmes et des formes pré-colombiennes pour élever ses totems à partir de matériaux de récupération, sur une palette de manutention servant de socle. Mais l’artiste a le parti-pris de l’unité de l’homme-nature dans la diversité culturelle, et il élargit ses sources : en plus des évocations aztèque, maya, inca ou quimbaya, il imagine des totems vikings, africains, asiatiques, et même un esprit féminin, une matriochka bleue qui rend hommage à Elsa Triolet.

Ces œuvres joyeuses et colorées se teintent d’un humour bon enfant ; elles respirent la vie et la communion avec les éléments animaux, végétaux et minéraux. Elles sollicitent l’œil, bien sûr, mais aussi l’oreille puisqu’elles incluent souvent, à hauteur d’enfant, divers instruments musicaux, tambours et cordophones. Sur le totem d’Elsa, un stylo accroché là incite le visiteur à écrire en vers ou en prose, sur les parois. Car loin des tabous qui accompagnent le totémisme traditionnel, l’esprit de Mains-Qui-Façonnent, l’habitant du totem, vous invite au contraire à le toucher, à le caresser, à le faire parler, à faire corps avec sa création et à la célébrer en acte comme elle le mérite.

 

Yves Moñino, 11 septembre 2013.